Stéphanie Dugas - La clé vers un jardin secret.

J'immortalise les seules images que l'oeil ne voit pas. Regardez donc avec votre âme!

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Le médaillon de l’avenir.

Voici un texte que j'ai écrit en novembre 2012. Il s'agit du texte que j'ai créé pour mon mémoire de fin de baccalauréat. Cependant, ceci n'est que le brouillon et n'est donc pas la version finale ni corrigée. 


Le médaillon de l’avenir

-          L’automne est arrivé et les feuilles recouvrent pour la quatrième fois ta demeure. Les entrailles presque gelées de la Terre te retiennent prisonnière de nos yeux. L’enveloppe de ton âme ne souffre plus. Tu as tellement vécu que des empreintes de toi sont visibles dans l’inconscient des gens qui t’ont connu. Les traces de ton sourire allègent encore le cœur de ceux qui pleurent ton absence. Pour l’homme sceptique, la mort vient mettre un terme définitif à sa destinée. Pour d’autres, la mort n’est qu’un passage obligatoire que tout être doit prendre un jour ou l’autre. Toi, tu faisais partie de la deuxième catégorie. Tes valises étaient prêtes depuis bien longtemps. J’aimerais te dire que j’accepte ton départ aussi facilement que tu l’as fait, mais tu saurais que je te mens. Je ne l’accepte pas.
Ce serait un mensonge de dire que je viens fréquemment visiter son éternelle demeure. Si je n’y vais pas souvent c’est parce que chaque fois, j’en veux au ciel de l’avoir envoyé sous terre. Elle était si jeune et ne méritait pas de souffrir l’équivalent des maux d’une vie plus longue que la sienne. Je suis rongé depuis trop longtemps par ce départ injuste et brutal. Cette journée-là, il y avait une très imposante tempête de neige. Comme si le voleur avait voulu camoufler ses pistes. Le printemps qui suivit, une branche de notre arbre généalogique n’avait pas survécu à l’hiver. Elle se décomposait en terre avec les dizaines d’autres qui l’avaient devancée.
J’arrive parfois à engourdir cette peine jusqu’à l’oublier momentanément. Aujourd’hui, la brûlure est vive. J’ai décidé d’aller me promener dans la forêt derrière ma maison afin que le vent de l’automne chasse ma peine comme il libère les arbres du fardeau de la saison verte. Toute ma vie, j’ai grandi en campagne. Même si l’université me force à vivre en ville huit mois par année, je reviens toujours à mes sources lorsque nécessaire. Combien de fois ai-je marché dans ce sentier ? Je ne crois pas que l’on peut réellement les compter. Je me demande si les racines de cette herbe jaunie se souviennent de l’enfant en moi qui préférait kidnapper des grenouilles plutôt que de cueillir des fraises avec ma grand-mère. Je me demande, lorsque l’herbe me chatouille les mollets de ses grands bras, si elle se remémore aussi clairement que moi les secrets que je suis venue leur confier tout bas lorsque aucune oreille humaine n’avait la capacité de m’écouter. C’est comme cet arbre penché comme un vieillard. Se souvient-il de m’avoir portée sur son dos ? Je vois encore les traces de mon adolescence sur sa peau grise et ridée. Le printemps, il ne fleurit presque plus, mais ses racines imposantes semblent s’accrocher à la vie et chaque fois je souris de voir que sa chevelure est encore verte.
La vie, n’est-ce pas ça ? Pleins de petits souvenirs tatoués dans notre mémoire et qui font surface pour nous rappeler le parcours que l’on a fait. Ce que je trouve dommage, c’est que ces souvenirs sont gaspillés une fois que l’on arrive au bout de notre chemin. Les histoires que l’on n’aura jamais racontées ou écrites auront été créées que pour notre seul plaisir. Combien de fois ai-je demandé à ma mère de me parler de mes arrière-grands-parents ? Mais j’oublie chaque fois qu’ils sont morts avant sa naissance et comme je ne connais personne qui les a connus, les souvenirs d’eux sont perdus à jamais. Ce serait bien que la technologie invente une machine capable d’enregistrer tous nos souvenirs, même ceux que l’on oublie.
Je marche depuis plusieurs minutes déjà. Je me perds dans mes pensées et mes yeux s’accrochent aux détails de la nature qui font partie de mon enfance. Sur la droite du sentier, une clôture de bois rond vieille de cinquante ans marque la fin de notre territoire. À l’œil, le matériau naturel semble encore résistant, mais les années l’ont affaibli et le bois se défait au moindre touché. Mon grand-père me dirait que le bois est devenu coti. J’ai toujours aimé ces clôtures. Elles n’ont aucun clou, aucune décoration artificielle, mais elles attirent l’œil comme une fleur rare. On m’a dit un jour que c’était mon arrière-grand-père qui les avait faites. Chaque fois que je viens marcher ici, j’ai toujours le sentiment étrange que ma famille maternelle me tient par la main. Cela me calme et me rassure immanquablement.
Jusqu’ici, le soleil filtre les branches des arbres et réussit à se faire un chemin entre les chapeaux multicolores que revêt la forêt pour la saison. Même si les rayons de l’astre m’atteignent, mon souffle fait quand même de la boucane à cause la froideur de l’air. Mon menton est caché par un foulard de laine vert que j’ai reçu en cadeau. Mes bottillons écrasent sans remords les feuilles plus faibles qui servent déjà de couverture à la terre gelée. Habituellement, je ne me rends jamais aussi loin dans ma marche. Lorsque j’aperçois le gros pin qui surplombe tous les arbres d’au moins une tête, je me considère assez loin et je rebrousse chemin. Cette fois-ci, ma peine est tellement vive que je décide de continuer un peu. Je choisis donc de marquer de souvenirs ce coin encore vierge de la forêt.
Plus je marche, plus les arbres se collent les uns sur les autres. Comme s’ils essayaient de se réchauffer. Je ne ressens plus la chaleur du soleil et le vent semble plus froid contre la peau rougie de mon visage non couvert. Même si ce n’est pas la première fois que je marche ici, j’ai l’impression de découvrir de l’inconnu. Je n’avais jamais vu ce tronc d’arbre recouvert de son manteau de mousse humide. Je n’avais jamais vu ce gros érable qui semble avoir été frappé par la foudre pendant une journée de malchance. Mon esprit vagabonde et j’essaie de deviner ce qui a pu arriver ici pendant ces vingt dernières années. Le sentier commence à s’amincir et je dois enjamber ici et là quelques arbres que la nature a brisés. Après plusieurs minutes, je me retourne et je constate que le paysage derrière moi ne se ressemble plus. Un élan de panique remplit mon cœur et je décide de rebrousser chemin.
C’est à ce moment que mes yeux s’accrochent sur quelque chose. Ce quelque chose empêche mon corps de suivre l’ordre que mon cerveau venait de lui transmettre. Je cligne des yeux à quelques reprises, mais le scintillement argenté que j’aperçois au loin ne s’estompe pas. J’hésite un peu avant de continuer, mais ma vilaine curiosité m’oblige à avancer. À quelques mètres de moi, sur la branche d’un arbre se situant à la hauteur de ma tête, est accroché quelque chose qui brille sous l’unique rayon de soleil qui le touche. En marchant, ma cheville reste coincée sur un morceau de tronc d’arbre et en dégageant nerveusement ma jambe, j’entends le bruit de mon jeans qui se déchire. Aussitôt, le vent fait dresser sur l’épiderme de mon mollet des frissons que je devine visibles. Subjuguée par l’étrange objet, j’oublie qu’il s’agissait de mon pantalon préféré.
Je tends la main et mes doigts se referment autour du bijou. Aussitôt, il cesse de scintiller. En prenant bien soin de ne pas l’abîmer, je le décroche du bras squelettique qui le tenait prisonnier et je le dépose dans la paume de ma main. Quel curieux petit pendentif ! Il a environ la taille d’un deux dollars et il a la forme d’une étoile. En l’examinant de plus près, j’aperçois une ouverture. J’essaie de l’ouvrir, mais il semble brisé par le temps. Qui a bien pu perdre ce collier ici ? Personne ne vient sur cette terre à part nous et je n’ai jamais vu ce bijou avant aujourd’hui. Je l’examine encore un peu et je décide qu’il est vraiment temps de retourner à la maison. Je glisse ma découverte dans la poche de mon manteau et je reviens sur mes pas, complètement perdus dans mes pensées.
Mes yeux cherchent les points de repère que j’avais vus quelques minutes plus tôt, mais je ne vois aucune trace du tronc recouvert de mousse ou de l’arbre foudroyé. Il n’y a qu’un sentier alors il est donc impossible que je me sois perdue. Au loin, j’aperçois soudainement le sommet du pin géant et je commence à mieux respirer. Je marche sans regarder derrière moi, comme si j’étais pourchassée par quelque chose d’invisible qui faisait dresser les poils sur ma nuque. Furtivement, mes yeux regardent le sol afin de ne pas trébucher et je me rends compte que je suis presque en train de courir. Le vent, qui soufflait contre mon dos, me heurte à présent le visage et des larmes involontaires noient mes yeux. J’aime bien l’automne, mais je me passerais volontiers de ce temps froid et venteux.
Un mouvement près du gros pin me fait soudainement figer. Un ours ? Un loup ? Non, impossible. Il n’y a plus de loup dans la région depuis bien des années et les ours ne se promènent pas aussi près des maisons. Je reconnais, en essuyant les larmes que le vent créer dans mes yeux, la forme d’un humain. Ma mère serait-elle venue marcher elle aussi ? Je croyais être seule à la maison jusqu’au souper. Où est-ce peut-être le voisin qui a traversé la clôture naturelle que ma famille avait construite ? Je ralentis la cadence et je fronce les sourcils afin de mieux voir. Le soleil m’aveugle et je dois m’approcher davantage avant de prendre conscience qu’il s’agit d’un homme. Il est droit comme un piquet et me regarde. Je continue nerveusement à avancer vers lui, sachant que d’une façon ou d’une autre, c’est le seul chemin vers la maison.
-          Qui êtes-vous ? m’entendis-je crier.
Mais aucune réponse ne vint. Son corps me fait face, mais je ne parviens pas à voir ses yeux. Il ne ressemble pas non plus à notre voisin. Il est bien que trop grand ! Lentement, je le vois lever la main dans ma direction pour me faire signe d’approcher. C’est comme s’il vient de prendre conscience que je le vois. J’accélère la cadence, mais mes pieds se figent sur place lorsque la proximité me permet de l’observer correctement. Un cri de frayeur s’étouffe dans ma gorge et je sens mon cœur s’accélérer, s’arrêter, puis repartir sur une course folle. Prise de panique, je porte mes mains devant mes yeux, puis j’essaie de me dire que la fatigue des derniers jours me fait halluciner. Ce que je venais de voir n’avait rien de physiquement normal. Tremblante, je consens à dégager mes yeux. Il est toujours là. Debout, face à moi.
Il a tout d’un homme ordinaire. Il a deux bras, deux jambes. Il a toutes les caractéristiques qui me permettent d’affirmer qu’il s’agit bien d’un être humain. Cependant, ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est la texture de son corps. Tout de lui est d’une teinte grise et transparente. Il me fait penser à une goutte d’eau et la réalité me parait déformée derrière lui. Pourtant, je n’ai pas bu. Son visage dessine un sourire et mon premier réflexe est de reculer de quelques pas. Ses yeux vitreux me regardent intensément et je me mets à examiner avec plus d’attention la forme de ceux-ci. Soudainement, son visage me revient en tête. Ma grand-mère avait le portrait d’un homme qui lui ressemblait étrangement. C’est à ce moment que je comprends que je me retrouve face à ce que l’on appelle un fantôme, un mort, un esprit. Un humain sans coquille solide.
-          Est-ce que vous êtes mon arrière-grand-père ? dis-je d’une voix tremblante.
-          C’est exact. Je suis le père de ta grand-mère maternelle, me répond-il d’une voix rauque qui me glace le sang. Je te regarde grandir depuis tellement longtemps. Je suis surpris que tu me voies enfin.
-          Pas autant surprise que moi, ça, j’en suis certaine.
J’essaie de chasser la peur qui me dévore toujours les entrailles. S’il s’agit d’un mirage, je me traiterai de folle plus tard. S’il s’agit d’un rêve, alors je rirai en racontant mon rêve aux autres. Mais si c’est la réalité, je veux en savoir plus ! Il tourne la tête vers la clôture et sourit. Cette fois-ci, son sourire a quelque chose d’apaisant. Ses yeux semblent caresser le bois comme le ferait le vent du printemps.
-          Je t’entendais penser tout à l’heure, commence-t-il en tournant à nouveau son visage vers moi. Je suis bel et bien celui qui a construit ces clôtures et je suis heureux de voir qu’elles survivent aussi bien au temps.
-          Vous m’entendiez penser ?
-          Oui. Comme je n’ai plus de corps, j’ai directement accès à ton esprit. Mais ce n’est pas parce que je n’ai plus de corps que je suis différent de qui j’étais. Je t’entendais également penser au sujet des souvenirs. Est-ce que tu veux que je te raconte quelque chose que seul moi peux te raconter ?
-          Oh ! dis-je en souriant. J’en serais vraiment très heureuse !
-          Fais-moi d’abord une promesse.
-          Oui, tout ce que vous voudrez !
-          Écris ce souvenir afin qu’il ne s’oublie pas.
Je sens mon cœur se gonfler d’une joie indescriptible. Suis-je vraiment sur le point d’entendre une histoire oubliée ? Une histoire que je croyais perdue à tout jamais dans le passé ? Devant mon sourire radieux, mon arrière-grand-père appuie son épaule contre le pin et je m’aperçois que son regard balaye l’horizon derrière moi. Je suis surprise de constater que même s’il est translucide, il agit et se comporte comme le ferait n’importe quel être humain normal.
-          Tu vois, au loin, le champ derrière toi ? demande-t-il en me pointant la direction que mes yeux doivent prendre. Lorsque j’étais enfant, mes frères, mes sœurs et moi, nous venions jouer ici. De l’autre côté du champ, là où tu peux apercevoir des bouleaux et des sapins, il y avait autrefois une ferme. C’était la ferme de mon oncle. Nos parents nous disaient de ne pas venir faire inutilement peur aux animaux. Nous, ne comprenant pas l’ampleur de l’avertissement, nous venions y jouer quand même. Un jour, mon grand frère m’avait mis au défi d’aller voler tous les œufs des poules. Je ne devais avoir que dix ans et bien sûr, j’ai relevé son défi. Chaque semaine, c’était à quelqu’un d’autre d’aller voler les œufs. Un jour, nous étions à la maison et mon oncle est venu nous visiter. Pendant qu’il parlait avec mon père, mon frère et moi avons entendu mon oncle parler de ses poules. Il venait de toutes les tuer, car depuis quelques semaines, elles ne pondaient presque plus. Imagine notre réaction. Mon père, sans réagir, savait que trop bien que nous avions quelque chose à voir avec cette histoire.
En entendant la fin de son histoire, je me suis mise à rire à gorge déployée. Son visage s’étire en un grand sourire et ses yeux me dévisagent d’une façon paternelle. Puis, je le vois tourner la tête dans la direction que je dois prendre pour retrouver le confort de ma maison. Curieusement, je ne veux pas partir. Ma peur s’est complètement évanouie pendant qu’il me racontait son histoire.
-          Je dois partir. D’autres gens ont besoin de ma présence, mais sache que ceux que tu aimes ne t’ont jamais vraiment quitté. Lorsque tu sens sur ta peau un souffle apaisant, c’est nous. Ne ferme pas ton esprit et ta douleur en sera moindre.
-          Merci, répondis-je en souriant.
En se retournant, il m’adresse un signe de la main et petit à petit, son corps se met à disparaître. Je suis triste de le voir partir, mais une partie de moi sait à présent que chaque fois que je marche sur cette terre, il me tient véritablement par la main.
Pendant que mes pieds me guident presque automatiquement vers le sentier qui mène chez moi, mon cerveau ne cesse de se demander si ce qu’il a vu est bel et bien réel. J’étais loin de me douter que cette simple promenade, comme j’en fais souvent, me ferait vivre quelque chose d’aussi merveilleux. J’ai l’impression que le soleil ne me réchauffe pas que la peau, mais que ses rayons m’atteignent le cœur. Même si sa présence baisse lentement dans le ciel, il demeure à son zénith dans mon cœur. Mes yeux sont soudainement attirés vers quelques choses de très lumineux et qui se tient debout sur le sentier. Mon cœur cesse de battre. Un autre ?
J’avance rapidement. J’ai peur qu’elle parte avant que j’arrive. Elle est de dos et je reconnais très facilement sa longue chevelure chocolatée. En dirait une cascade de cacao. J’accueille ce deuxième fantôme comme un cadeau du ciel. Je ne cherche plus à comprendre pourquoi tout cela m’arrive. Je profite simplement du moment présent.
Je cours et le souffle commence à me manquer.
-          Ne pars pas ! dis-je lorsque je vois sa lumière faiblir.
-          Pardon ? demande-t-elle en se retournant, surprise.
Appuyée sur mes genoux, je reprends mon souffle. Ma cousine me regarde fixement. Elle semble en état de choc, alors que c’est moi qui souris bêtement. La jeune fille que j’ai vue mourir dans un accident de voiture, six ans plus tôt, n’a pas changé d’une seule miette. Elle est identique à mes souvenirs. C’est à ce moment précis que je me rends compte que ses grands yeux bruns m’avaient énormément manqué. La robe fluide qui recouvre son corps blanc me fait penser à une tenue d’ange.
-          Tu me vois ? s’étonne-t-elle en s’approchant gracieusement de moi.
-          Oui ! Je ne sais pas pourquoi, mais tu es la deuxième que je vois en quelques minutes !
-          Je ne savais pas que tu avais le don de nous voir.
-          Moi non plus.
Un sourire bienveillant éclaire son visage et rehausse ses pommettes. Maintenant, elle semble aussi heureuse que moi.
-          Je ne pensais pas te revoir un jour, dis-je avec émotion. Je ne sais pas pour combien de temps je vais pouvoir te voir, alors est-ce que tu me ferais une faveur ?
-          Tout ce que tu veux.
-          Raconte-moi un souvenir. Quelque chose que tu n’as jamais dit à personne. Quelque chose que je vais pouvoir écrire et immortaliser.
Pendant un moment, elle semble songeuse, puis elle croise ses bras. Elle se met à marcher autour de moi, mais je n’entends pas ses pas. Son corps flotte au-dessus de l’herbe et l’effleure comme la caresse du vent. Quelques feuilles mortes se sauvent et je comprends maintenant que les éléments renferment bien des secrets.
-          C’était le soir de mes dix ans, commence-t-elle en levant les yeux vers le ciel. Je fêtais mon anniversaire le lendemain. J’étais surexcitée et je dansais sur de la musique que je venais de recevoir. Il est important de mentionner que j’étais seule dans ma chambre. J’ai soudainement eu la brillante idée de vouloir sauter sur mon lit, mais mes jambes ont décidé de ne pas suivre et je me suis écrasé le visage contre le sol. Résultat, je me suis retrouvée à l’hôpital pour des points de suture et ma fête d’anniversaire a dû être annulée, car je ne voulais pas que personne ne me voie dans cet état.
-          Oui, je m’en souviens ! Ce souvenir existait toujours dans ma mémoire, dis-je tristement.
-          Oui, mais ce que tu ne sais pas, c’est que j’avais fait croire à ma mère que c’était autre chose qui m’était arrivé ! J’avais trop honte d’avouer que ma propre maladresse m’avait défigurée. Tu vois, ça, c’est la première fois que je le dis à quelqu’un.
Elle venait de me faire sourire. Non pas parce que son histoire était cocasse, mais parce que je me souviens très bien de nous à cet âge-là et ça me manque. L’âge de la naïveté. Cependant, il faut que j’accepte que le temps avance et qu’il ne recule pas. On ne peut pas aller plus d'une journée à la fois, ni plus d'une minute, mais ce qui est certain, c'est qu'on ne peut pas revenir en arrière. Ni une journée ni une minute. Alors si l’on n'avance pas, on ne va nulle part. En réfléchissant, j’ai aussi pris conscience qu’il y a beaucoup de possibilités qui s’ouvrent à nous dans la vie. Cependant, il y a aussi beaucoup de choses que l’on ne pourra plus jamais revivre. On n’aura jamais plus l’innocence d’un nouveau-né. On ne sera jamais plus un enfant, où nos seules préoccupations étaient de savoir à quels jeux on allait jouer. On ne refera jamais plus notre primaire ni notre secondaire. Je ne rencontrerai jamais plus mes amis pour la première fois. Je n’aurai plus jamais seize, dix-huit ou vingt ans ! La vie est faite de portes que l’on doit ouvrir et fermer. La vie est remplie de tempêtes à surmonter. Mais, ce qu'il y a de beau avec les tempêtes, c'est qu'en son centre, il y a toujours un moment d’accalmie. De cette façon, je peux reprendre des forces avant la prochaine vague. Je commence sérieusement à me demander si ce que je vis présentement ne serait pas l’une de ces accalmies qui me permettront de fermer une porte.
-          Je dois partir, quelqu’un d’autre a besoin de moi, continue ma cousine en souriant. Je suis toujours près de toi, ma très chère. Il n’y a qu’une porte qui nous sépare et même si tu me manques, je travaille à ce que ta porte à toi soit encore bien loin sur ton parcours.
Sa dernière phrase s’était évanouie dans un chuchotement. Elle est partie. Sa lumière n’est plus là et sa présence rassurante non plus. Je commence à prendre conscience que mon cœur se fait de plus en plus léger. Ces rencontres me font du bien. Je commence également à me dire qu’elles n’ont pas été mises sur ma route pour rien. Ma mère va-t-elle me croire lorsque je vais lui raconter tout ça ? Au fond je m’en fous un peu. Ces rencontrent me sont destinées. Non ?
Il n’y a personne à la maison. Je suis seule. Je referme la porte derrière moi et j’ai l’impression que je viens de couper le lien qui m’unissait avec ces apparitions étranges. Je dépose mon manteau sur la chaise et je sursaute en entendant un cliquetis sur le plancher. Le collier ! Je l’avais oublié ! Je me penche pour le ramasser, mais une brise froide soulève les poils de ma nuque. Je me retourne rapidement et je sens aussitôt les larmes me monter aux yeux. Je n’attendais pas sa visite. Faux. Je l’attendais, mais je ne voulais pas me faire de faux espoirs.
 J’ai envie de la serrer, de l’embrasser. Ses cheveux argentés brillent de la même façon que le fait la neige sous les rayons de la lune. Sa peau ne porte plus de traces de sa maladie. Même ses rides semblent moins prononcées. De son vivant, jamais je ne l’ai vu sourire comme elle le fait présentement. Elle sourit comme le ferait n’importe quelle femme après s’être libérée d’un fardeau immense. Son fardeau à elle, c’était sa propre vie. Le vert de ses yeux me fait penser à l’émeraude de ma bague. De tous ses traits, il y en a un qui me marque et me touche particulièrement : elle est debout. Ses jambes lui ont été rendues. Je les devine en santé sous sa robe blanche, la même que portait ma cousine. Plus je regarde ma grand-mère, plus je me dis que si elle avait des ailes, elle ressemblerait à un ange. Cet ange qu’elle voulait tant devenir et qu’elle a tant mérité d’être.
-          Je t’aime tellement, me dit-elle en souriant.
Aussitôt, mes yeux s’inondent. Le Nil s’étend sur mes joues et je me dépêche à effacer mes larmes du revers de ma main. Jamais je ne croyais entendre ces paroles à nouveau. Sa voix n’a pas changé et je suis heureuse de constater que son amour non plus.
-          Regarde-toi ! continue-t-elle en me détaillant. Quand je suis partie, tu n’étais qu’une adolescente et te voilà devenu une femme ! Si tu savais combien je suis fière de toi, de ce que tu es devenue, de ce que tu es. Je t’entends souvent me demander de t’aider à prendre les bonnes décisions et quand tu réussis un bon coup, tu me remercies. Apprends à te faire confiance, puisque ces bons coups n’ont été réalisés que grâce à toi. Je n’y suis pour rien. Je te caresse le visage la nuit pour te protéger des mauvais rêves, je te tiens par la main afin de t’éloigner du danger, mais je te laisse prendre tes propres décisions. Apprends à faire des erreurs et à les apprécier. Elles te donnent la force d’affronter la vie.
-          Tu me manques, dis-je en respirant profondément. Tes conseils me manquent.
-          Tu n’as plus besoin de mes conseils. Tu es rendue à la croisée des chemins où tu dois tout apprendre et vivre par toi-même pour qu’un jour, toi aussi, tu puisses conseiller les autres. Je sais que mon départ t’a causé beaucoup de peine, mais tu dois continuer à vivre et à être heureuse. Des gens vont entrer et sortir de ta vie et c’est comme ça que ça doit se faire.
-          Oui, mais c’est difficile de vivre en se disant que l’on existe pour disparaitre. Que tout ce que l’on fait, tout ce que l’on est, ne sera plus.
-          Ce que tu as vu aujourd’hui te prouve que tu as tort.
-          Et que tu avais raison, dis-je en souriant sincèrement.
-          La mort n’est qu’un passage obligatoire que tout être doit prendre un jour ou l’autre. Profite de la vie. Elle est parfois difficile et triste, mais tu ne connaîtras jamais rien de mieux que la joie et l’amour. Fais des erreurs, tombe amoureuse, pleure et ris. Mais ne pleure pas ceux qui ont trépassé depuis longtemps, puisqu’il n’y a rien de triste dans le fait d’avoir accompli sa destinée.
-          Quelle était ta destinée ?
-          Tu es ma destinée. Tu es la raison pour laquelle je devais exister.

Ces paroles me touchent au cœur comme la flèche d’un arc. Je ne sais pas si je suis triste ou heureuse, mais ces paroles seront gravées dans ma tête à tout jamais.
-          Promets-moi une chose, continue-t-elle en souriant. Cherche le bonheur jusqu’à ce que tu le trouves, et ce, même si je ne suis plus de ce monde. Tu dois penser à toi, car tu es la personne la plus importante de ta vie. Sans toi, ta vie n’existe plus et tu n’en as qu’une, alors fais en sorte d’accomplir ta destinée. J’ai mis quelqu’un sur ton chemin. Tu le rencontreras bientôt. Sa destinée à lui est de t’aimer, d’être présent à tes côtés et de prendre soin de toi. Tu n’auras plus de raison de pleurer, ni pour moi, ni pour personne d’autre. Sois heureuse pour lui, mais surtout pour toi. Profite de toutes ces petites merveilles et de tous ces sentiments magiques que la vie a à t’offrir.
-          Comment vais-je savoir que c’est lui ?
-          La lune a toujours été ta source de réconfort lors de tes moments de noirceur. Elle a toujours été ta lumière dans les ténèbres. Mais lui, il sera ton soleil et ses rayons chasseront à jamais cette ombre sur ton cœur. Tu le reconnaîtras lorsque tu l’auras trouvé. Ses rayons te traverseront et te couperont le souffle. Ce ne sera que l’union de vos deux destinées et ce jour-là, je te promets que ta solitude s’évanouira. Que tous tes maux s’éclipseront. La vie semblera vouloir vous éloigner, mais fait confiance à la providence.
-          Pourquoi me dis-tu tout ça ?
-          Parce que c’est le quatrième et le dernier automne que tu songeras à ma mort comme une blessure. Je suis ici pour guérir ton cœur et te permettre de t’épanouir. Je suis ici pour que tu acceptes mon départ et que tu cesses d’en vouloir au ciel. Tu ne devrais pas te soucier de ceux qui ont vécu, mais te soucier de ce que tu as à vivre.
Même morte, ma grand-mère réussit à me consoler et à me raisonner. Même morte, elle continue d’être une grand-mère, ma grand-mère. Et même si sa voix se veut autoritaire, je ressens tout l’amour et la tendresse qu’elle me souffle derrière ses paroles. Mon cœur est gonflé d’une joie indescriptible et bizarrement, je n’ai qu’envie de sourire.
-          Grand-mère, raconte-moi un souvenir que je pourrais immortaliser.
-          Au lieu de te raconter quelque chose du passé, écris ce que tu viens de vivre avec moi aujourd’hui. Vis le moment présent. C’est ce que tu fais aujourd’hui qui est important, pas ce que tu as fait hier, car ce que tu vis aujourd’hui forge ton futur, alors que ton passé demeurera toujours inchangeable. Ne vis pas à reculons. Fonce. Je t’aime.
Elle me fait rapidement un baiser soufflé et je sursaute lorsque la porte de la maison s’ouvre. C’est ma mère. Elle me regarde bizarrement lorsqu’elle voit mon sourire. Je me retourne vers grand-mère, mais elle n’est plus là. J’observe l’endroit vide où elle se tenait et je dépose une main sur mon cœur.
-          Où as-tu trouvé ça ? me demande ma mère en ramassant le collier d’une main tremblante.
-           Je l’ai trouvé dans la forêt tout à l’heure ! dis-je en souriant davantage. Est-ce que tu sais à qui ça appartient ?
-          Appartenait, me corrige-t-elle avec émotion.
-           Que veux-tu dire ?
-          Ta grand-mère gardait ce collier depuis sa tendre enfance et lors de l’enterrement, je l’ai glissé sous son oreiller. C’est impossible…
-          C’est sûrement une réplique !
-          Oui, mais le sien aussi était brisé ! continue-t-elle en tentant d’ouvrir le médaillon en forme d’étoile. Ce doit être un signe qu’elle nous envoie.
-          Sûrement, dis-je.

Étrangement, j’ai le sentiment que ce que j’ai vécu aujourd’hui n’a pas été vécu pour être raconté. Ce sera mon souvenir à moi. Celui que je raconterai peut-être un jour à mon tour lorsque ma destinée sera accomplie.
Couchée sur mon lit, je joue avec le médaillon. La lune éclaire ma chambre et ses rayons frappent l’étoile argentée que je tiens entre mes doigts. Les paroles de ma grand-mère résonnent encore dans ma tête. Je me sens en paix. En paix avec moi-même et en paix avec la vie. Soudainement, le médaillon s’ouvre dans un petit bruit qui semble résonner dans toute la pièce. Je découvre, à l’intérieure, une vieille photo de mon grand-père. Il n’y a aucun doute qu’il s’agit du collier que ma mère avait glissé dans son cercueil. Je me suis endormie avec le sourire et cette nuit-là, j’ai rêvé d’un inconnu. Lorsque mes yeux se sont posés dans les siens, j’ai su tout de suite qu’il s’agissait de l’astre lumineux qui éclairerait ma vie.
En me réveillant, je n’avais plus le collier et je n’ai jamais cherché à le retrouver. Je suis allé au magasin et je m’en suis acheté un neuf. Quelques semaines plus tard, je l’ai ouvert et j’y ai mis à l’intérieur la photo d’un soleil. Jamais, de ma vie, je n’avais vu d’aussi beaux yeux. À l’intérieur de ceux-ci, il y avait les rayons dont m’avait parlé ma grand-mère. Ensuite, j’ai brisé l’ouverture du médaillon afin qu’il soit scellé éternellement et je n’ai plus jamais regardé derrière moi.
J'ai tout de même tenu ma promesse. J'ai écrit les souvenirs de mon arrière-grand-père, celui de ma cousine et la rencontre avec ma grand-mère. Cependant, personne ne saura que cette histoire est vraie.

Droit d'auteur : Stéphanie Dugas 



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